I - Introduction
II - Populations ciblées par des interventions de santé publique en génétique
III - Questions éthiques, légales, et sociales dans le contexte d’interventions de santé publique en génétique
III - 1. Utilisation de l’information génétique : confidentialité et discriminationIII - 2. Banques d’ADNIII - 3. Diagnostic prénatal, reproduction assistée et sélection d’embryons
IV - Exemples du rôle de la santé publique en génétique
IV - 1. Acide folique et anomalies du tube neuralIV - 2. Dépistage néonatalIV - 3. Dépistage de porteurs dans le cadre de décisions de reproductionIV - 4. Dépistage prénatal d’aneuploïdies et d’anomalies du tube neuralIV - 5. Dépistage de susceptibilité génétique chez l’adulte IV - 6. Pharmacogénétique et ÉcogénétiqueIV - 7. Personnalisation des soins grâce à l’information génétique
Conclusion
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Le rôle de la santé publique est de mettre en place les conditions nécessaires à la santé de la population. Jusqu’à récemment, la santé publique s’intéressait surtout aux facteurs de risque environnementaux, comme les infections, le tabagisme, la sédentarité, la diète, etc. Avec l’avènement du séquençage complet du génome humain, de nombreux espoirs se fondent sur la possibilité d’agir sur des facteurs de risque ou de susceptibilités génétiques. Les découvertes et avancées technologiques dans le monde de la génétique et de la biotechnologie pourraient être utilisées pour la prévention des maladies et l’amélioration de la santé de la population.
Ce nouveau rôle de la génétique en santé publique se produit alors que l’on observe des changements dans ce que l’on inclut dans la définition de maladie génétique. En effet, l’impact de la génétique en santé publique sera élargi si l’on inclut la composante génétique des maladies acquises, que ce soit par la présence de susceptibilités génétiques à ces maladies ou à la réponse à leurs traitements, ou par la présence de facteurs génétiques jouant un rôle protecteur, comme dans la résistance aux infections.
Éventuellement, il sera peut-être possible de déterminer pour chaque individu quelles susceptibilités et protections génétiques il porte et ainsi agir pour prévenir l’apparition de maladies. En attendant, la place de la génétique en santé publique est restreinte en grande partie aux maladies monogéniques.
Lorsque l’on parle de santé publique, on parle de la santé de la population en général et non pas de la santé de chaque individu. Comme les ressources attribuables à des interventions visant à améliorer la santé de la population sont limitées, des priorités doivent être établies afin de décider quelles interventions seront les plus profitables à l’ensemble de la population. Ces priorités dépendront de caractéristiques de la maladie, comme sa prévalence et sa sévérité, et de la quantité de ressources nécessaires à l’intervention.
Les maladies monogéniques sont rares. Est-il justifié d’implémenter des interventions à la grandeur de la population pour dépister quelques rares cas d’une maladie génétique donnée? Il n’y a pas de bonne réponse à cette question. Cela dépend du fardeau que ces rares cas représentent pour la société, de notre capacité à agir pour diminuer ce fardeau ou de la valeur que l’on attribue à un diagnostic précoce, par rapport à la difficulté de dépister ces cas et à la quantité de ressources consacrées à ce dépistage. Le dépistage de la phénylcétonurie est considéré utile parce qu’il permet aux enfants atteints de vivre une vie normale grâce à une diète spéciale débutée dès les premiers jours de vie, alors qu’ils auraient autrement été atteints de retard mental sévère. Dans la plupart des pays développés, on dépiste tous les nouveau-nés pour la phénylcétonurie afin de détecter une poignée de cas par année, parce que l’impact sur ces enfants et sur leur potentiel de contribution à la société est énorme. Par ailleurs, un dépistage semblable pour la maladie de Huntington est impensable, parce qu’il s’agit d’une maladie tardive pour laquelle il n’y a aucun traitement ou avantage au diagnostic précoce. On ne peut donc pas changer le cours de la maladie pour ceux qui seront atteints, ni son impact sur la société.
Pour améliorer le rendement d’un programme de dépistage génétique, on peut décider de cibler la population qui est le plus à risque, c’est-à-dire les familles des gens déjà atteints. Cette approche permet d’utiliser moins de ressource tout en identifiant une plus forte proportion de gens. Il y a cependant des limites à cette approche, car un grand nombre d’individus porteurs ou atteints de maladies génétiques n’ont aucune histoire familiale de cette maladie et seraient donc manqués par un tel programme de dépistage. À l’occasion, on cible un groupe ethnique chez lequel la prévalence de la maladie génétique dépistée est plus élevée. Par exemple, le dépistage de la maladie de Tay-Sachs est fait presque exclusivement dans les communautés Juives Ashkénazes. Il est cependant important de s’assurer que la communauté est en faveur du dépistage et que le dépistage ne sera pas perçu comme un outil de stigmatisation.
La confidentialité de l’information génétique est une question fréquemment soulevée. L’information génétique diffère d’autres types d’informations retrouvées dans un dossier médical. Premièrement, l’information génétique ne change pas avec les années: la présence d’une mutation ou d’un polymorphisme chez un individu est immuable. Deuxièmement, l’information génétique au sujet d’un individu a des conséquences non seulement pour lui-même, mais aussi pour les membres de sa famille, puisqu’il s’agit dans la plupart des cas de variations transmissibles. Dans certains cas, l’information génétique confirme un diagnostic clinique, mais, de plus en plus, l’information génétique fournit plutôt un niveau de risque ou de susceptibilité à développer une certaine condition. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que certains s’inquiètent de la confidentialité de ce type d’information, dans la crainte qu’une susceptibilité génétique particulière soit la source de discrimination de la part d’un assureur ou d’un employeur.
La recherche en génétique nécessite souvent la collecte d’échantillons d’ADN. Il existe maintenant plusieurs banques d’échantillons d’ADN qui ont été bâties à partir d’échantillons recueillis pour le dépistage néonatal ou pour des projets de recherche maintenant terminés. Que doit-on faire de ces échantillons? À qui appartiennent-ils? Le chercheur peut-il les utiliser à d’autres fins sans le consentement de ceux qui lui ont fourni les échantillons? Si oui, doit-il les anonymiser? Ou bien doit-il recontacter chaque individu pour obtenir au préalable son consentement? Pour respecter l’autonomie des individus ayant participé à des projets de recherche antérieurs, il devrait être nécessaire de les recontacter et d’obtenir un nouveau consentement avant d’utiliser leur échantillon pour de nouvelles expériences. D’un autre côté, ces échantillons sont faciles d’accès et peuvent servir à faire avancer la science, pour le bénéfice de la société en général, sans impact négatif majeur pour l’individu ayant mis un échantillon à contribution, surtout si les échantillons sont anonymisés. Dans certains cas, la nature des expériences projetées aura aussi une influence sur la décision d’utiliser ou non des échantillons provenant d’une banque d’ADN. Des chercheurs et éthiciens de plusieurs pays sont confrontés à ces questions. Pour l’instant, les comités d’éthique décident de chaque cas selon les circonstances, car aucun consensus n’est établi sur la marche à suivre pour l’utilisation de banques d’ADN.
La reproduction assistée a entraîné la remise en question de notions fondamentales, comme la définition de paternité et de maternité. On parle maintenant de mère biologique, de mère gestationnelle (ou porteuse), et de mère «sociale». De même, on parle de père biologique et de père social. Avant l’avènement des tests d’ADN, la paternité était toujours présumée, mais il est maintenant possible de déterminer avec une forte certitude qu’un individu est ou n’est pas le père d’un enfant donné. De même, la mère était auparavant simplement celle qui avait accouché de l’enfant. De nos jours, il est possible pour une femme de faire porter un embryon conçu à partir d’un de ses propres ovules par une autre femme. La première est la mère biologique, puisque l’embryon a reçu son matériel génétique, mais la deuxième est la mère gestationnelle. La mère «sociale» sera celle qui jouera le rôle de parent auprès de l’enfant.
Par ailleurs, la reproduction assistée ne sert maintenant plus seulement aux couples infertiles, mais aussi aux couples qui désirent éviter que leur enfant soit atteint d’une maladie héréditaire, ou même s’assurer qu’il sera un donneur optimal pour un frère ou une soeur en attente de greffe de moelle osseuse. Les tests génétiques faits sur les embryons permettent donc de sélectionner uniquement des embryons qui répondent à certains critères. Pour l’instant, cette technologie est surtout utilisée pour éviter la naissance d’enfants atteints de maladies héréditaires sévères et apparaissant dans l’enfance, mais certains craignent que cela ouvre la porte à la sélection d’embryons sur la base d’autres caractéristiques, comme l’apparence physique ou l’intelligence.
La possibilité de procéder à un diagnostic prénatal de conditions génétiques par biopsie des villosités choriales ou amniocentèse sous-entend que l’avortement thérapeutique est une des options qui s’offrent au couple dont le foetus est atteint de l’une de ces maladies. Pour certains, ceci n’est pas une option acceptable pour des raisons éthiques, morales ou religieuses. Cela soulève les questions du statut de l’embryon, de la définition de la vie et de l’être humain.
II existe déjà plusieurs exemples du rôle de la santé publique en génétique. Les mieux connus portent surtout sur la reproduction (dépistage prénatal, dépistage de porteurs de maladies récessives) ou sur les nouveau-nés (dépistage néonatal), et de nouveaux exemples touchant les adultes apparaissent dans les domaines de la reproduction, du dépistage de la susceptibilité génétique et de la pharmacogénétique.
Les anomalies du tube neural (ATN) sont responsables d’une proportion importante de mortalité et morbidité infantiles dues aux anomalies congénitales. Leur incidence tend à diminuer légèrement avec les années. Des études faites durant les années 1980 chez des femmes ayant déjà eu un enfant avec ATN ont montré une réduction de l’incidence de récidive d’ATN dans les grossesses subséquentes chez les femmes prenant des suppléments d’acide folique. Par la suite, des études faites chez des femmes sans histoire familiale d’ATN ont aussi montré une plus faible incidence d’enfants nés avec ATN chez les femmes prenant un supplément d’acide folique. Bien que le mécanisme par lequel l’acide folique agit n’est pas connu, ces observations ont mené à l’hypothèse qu’une supplémentation en acide folique serait bénéfique pour toutes les femmes prévoyant une grossesse.
La fermeture du tube neural ayant lieu lors de la quatrième semaine de gestation, il est suggéré de débuter la supplémentation avant la conception. La dose minimale efficace n’est pas établie, mais la dose quotidienne habituellement recommandée est de 400 microgrammes chez les femmes sans facteur de risque particulier, à débuter au moins 3 mois avant la conception. Cependant, il est fréquent que la supplémentation n’ait pas lieu, soit parce que la femme n’était pas informée de l’effet préventif de l’acide folique ou parce que la grossesse n’était pas planifiée.
Pour remédier à ce problème, certains pays ont décidé d’ajouter de l’acide folique à un aliment de base de la diète, comme la farine. Ce genre d’intervention de santé publique est déjà utilisé pour prévenir certaines maladies. Par exemple, le sel est fortifié en iode pour prévenir le goitre et le lait est fortifié en vitamine D pour prévenir le rachitisme.
La fortification en acide folique de la farine ne s’est pas fait sans controverse. Certains craignaient que la fortification en acide folique puisse masquer le déficit en vitamine B12 et retarder ce diagnostic. D’autres s’inquiétaient des effets à long terme d’une diète enrichie en acide folique ou d’interactions de l’acide folique avec certains médicaments. De plus, aucune étude n’avait alors montré que ce type de fortification serait suffisante pour réduire l’incidence d’ATN dans la population. Malgré tout, plusieurs organismes professionnels se sont prononcés en faveur de la fortification. Une fortification en acide folique a été instaurée à la fin des années 1990 dans plusieurs pays développés, et dans la plupart des cas se retrouve dans la farine et les pâtes alimentaires. Les études faites depuis la fortification semblent en effet indiquer une réduction significative de l’incidence d’ATN dans la population, même en tenant compte de la tendance séculaire.
Le de la phénylcétonurie est le premier exemple de dépistage génétique à l’échelle de la population. Le dépistage néonatal de la phénylcétonurie a été mis en place aux États-Unis au début des années 1960, grâce à l’élaboration par le Dr Robert Guthrie d’une technique permettant de mesurer le niveau de phénylalanine dans un échantillon de sang récolté sur papier buvard. Les échantillons ainsi récoltés sont faciles à entreposer et transporter et peuvent être conservés longtemps. Le test lui-même est peu coûteux et facile à effectuer. Ces deux conditions ont facilité le développement d’un dépistage à grande échelle. Le dépistage de la phénylcétonurie est maintenant effectué par l’état dans la majorité des pays développés.
Suite à la diffusion du dépistage néonatal de la phénylcétonurie, un véritable système de dépistage s’est développé. Aujourd’hui, cela inclut la récolte des échantillons et leur transport, la réalisation du test par le laboratoire, la diffusion des résultats vers les parents ou le médecin traitant, et, pour les nouveau-nés ayant obtenu un résultat anormal, l’accès rapide à une évaluation spécialisée et aux soins nécessaires. Parallèlement, des critères sévères de contrôle de la qualité ont été établis et des programmes volontaires de contrôle de la qualité des laboratoires sont gérés par des organismes gouvernementaux, tel que le Center for Disease Control aux États-Unis.
Depuis les années 1960, d’autres maladies ont été ajoutées au dépistage néonatal. La liste varie selon les endroits, mais elle inclut presque toujours l’hypothyroïdie congénitale, et parfois la galactosémie, la tyrosinémie, l’anémie falciforme, et/ou l’hyperplasie congénitale des surrénales. Pour toutes ces maladies, un traitement médicamenteux ou diététique est disponible pour prévenir les effets de la maladie ou tenter de contrôler sa progression et il semble préférable de débuter ce traitement le plus tôt possible.
Dans les dernières années, une nouvelle technologie, la spectrométrie de masse en tandem (MS/MS), offre la possibilité de détecter dès la période néonatale la présence d’une trentaine de maladies du métabolisme intermédiaire, telles les aminoacidémies, les aciduries organiques, et les troubles du cycle de l’urée, pour n’en nommer que quelques unes. L’application de cette technologie au dépistage néonatal est controversée pour plusieurs raisons. Parmi la trentaine de maladies disponibles, certaines ont une histoire naturelle peu connue. Il est donc difficile de prédire ce qui adviendra du nouveau-né avec ou sans traitement. Il n’est également pas certain que le traitement diététique soit efficace ou même nécessaire dans tous les cas. Cependant, l’avènement du dépistage néonatal par spectrométrie de masse en tandem permettrait d’acquérir une meilleure connaissance de ces maladies. Aux États-Unis, des groupes de parents d’enfants atteints de l’une ou l’autre des maladies détectables par cette technologie font des pressions pour que cette technologie soit adoptée par les programmes d’état de dépistage néonatal. Ceux qui s’y opposent justifient leur position en soulignant l’absence de données sur l’impact de la détection et du traitement diététique précoces de ces maladies sur leur histoire naturelle, ce qui est va à l’encontre des critères utilisés actuellement pour ajouter des maladies aux programmes de dépistage. Ils soulignent que l’information que cette technologie produit n’est pas nécessairement utile pour le nouveau-né.
Le dépistage néonatal de la mucoviscidose, ou fibrose kystique du pancréas, est un autre sujet d’actualité. Des programmes de dépistage néonatal de la mucoviscidose existent dans plusieurs régions du monde, comme par exemple au Wisconsin et au Colorado (USA), en Bretagne (France), et dans certaines régions du Royaume-Uni et de l’Australie. Certaines études ont montré que les enfants identifiés par le dépistage néonatal ont un meilleur état nutritionnel et/ou une meilleure fonction respiratoire que ceux qui sont identifiés autrement, mais il s’agit en général de différences légères ou temporaires. Les critères essentiels du dépistage néonatal, tels que définis par l’Organisation Mondiale de la Santé, affirment qu’un traitement efficace doit être disponible et que l’application précoce de ce traitement doit améliorer le devenir de l’enfant. Malgré que l’impact à long terme d’un diagnostic précoce sur l’évolution de la maladie n’est pas clairement établi, certains soutiennent que le diagnostic précoce de la mucoviscidose chez le nouveau-né est bénéfique car il évite aux parents l’anxiété reliée à la recherche d’un diagnostic chez un enfant symptomatique, et leur permet de faire un choix éclairé quant à leurs futures décisions de reproduction. Il s’agit donc d’un bénéfice pour les parents et la famille, mais pas directement dû au traitement précoce. Selon cet argument, il serait alors justifié de dépister des conditions sans traitement efficace mais pour lesquelles un diagnostic précoce a une valeur pour les parents. Le dépistage de la mucoviscidose est potentiellement bénéfique pour l’enfant lui-même, mais ce n’est pas le cas pour d’autres conditions pour lesquelles un dépistage néonatal pourrait être effectué sous prétexte qu’un diagnostic précoce serait utile aux parents, comme la dystrophie musculaire de Duchenne et le syndrome du X fragile.
Le premier programme de dépistage de porteur sain d’une maladie récessive a eu lieu dans les communautés juives ashkenazes des régions des villes de New York et Washington, aux États-Unis. Avec le soutien de la communauté et en collaboration avec les dirigeants religieux, un programme de dépistage de porteurs de la maladie de Tay-Sachs a été mis en place au début des années 1970, peu après la découverte du déficit enzymatique responsable de la maladie. Cette maladie avait alors une prévalence élevée dans cette communauté. Elle cause une neurodégénérescence progressive qui débute dans la première année de vie et mène inévitablement au décès de l’enfant, en général avant l’âge de 4 ans. Autant les membres de la communauté que les professionels de la santé impliqués s’entendaient pour dire que cette maladie était si sévère qu’il était préférable de prendre des moyens pour éviter la naissance d’enfants atteints. De tels programmes existent maintenant dans des communautés juives ashkenazes à travers le monde. Grâce à ce dépistage, la prévalence de la maladie a diminué d’environ 90% dans les populations juives ashkenazes. Fort de ce succès, d’autres maladies prévalentes chez les populations juives ashkenazes ont été ajoutées au panel de dépistage de porteurs dans ces communautés, comme la maladie de Canavan et la maladie de Gaucher, entre autres.
Suite au succès de ces programmes, des programmes semblables ont été développés dans d’autres communautés, comme le dépistage de porteurs de la beta-thalassémie en Sardaigne et dans l’île de Chypre. Ces programmes ont également entraîné une importante diminution de la prévalence de la maladie dans ces communautés. Des programmes de dépistage de l’anémie falciforme chez les communautés Afro-Américaines aux Etats-Unis dans les années 1970 n’ont cependant pas eu le même succès, en partie parce que la différence entre le fait d’être porteur sain et le fait d’être atteint d’anémie falciforme n’était pas clairement expliquée, ce qui a donné lieu à des cas de discrimination chez les porteurs.
Plus récemment, le Collège Américain d’Obstétriciens et Gynécologues a recommandé que le dépistage de porteur de fibrose kystique du pancréas, ou mucoviscidose, soit offert à toutes les femmes enceintes. Cette recommandation est contestée par certains, entre autres parce que le dépistage est fait alors que la grossesse est déjà en cours et que la mucoviscidose n’est pas aussi sévère que la maladie de Tay-Sachs.
Pour une discussion détaillée des possibilités en diagnostic prénatal, consultez la section «Diagnostic Prénatal».
Il est cependant important de noter que dans plusieurs régions du monde un dépistage prénatal d’aneuploïdies et d’anomalies du tube neural est offert à toutes les femmes enceintes. Dans la majorité des cas, les nouveau-nés atteints d’aneuploïdie ou d’anomalie du tube neural sont nés de mères sans facteurs de risque particuliers. Un test de dépistage permet d’identifier celles dont le fœtus a une probabilité plus élevée d’être atteint. Ce test, qui consiste en une combinaison de marqueurs sanguins et/ou échographiques, n’est pas un test diagnostique: comme tout test de dépistage, il tend à être très sensible sans être nécessairement très spécifique. Le rôle d’un test de dépistage est idéalement de détecter tous les cas de la maladie recherchée (ou la grande majorité), au prix d’un certain nombre de résultats faussement positifs. Dans le cas du dépistage prénatal, le résultat du test est exprimé en terme du risque que le fœtus soit atteint et le résultat est considéré positif lorsque cette probabilité est au-dessus d’un certain seuil, habituellement entre 1/400 et 1/200. Ceci entraîne inévitablement une certaine proportion de faux positifs, i.e. de grossesses ayant obtenu un risque au-dessus du seuil acceptable mais dont le fœtus n’est pas atteint d’aneuploïdie ou d’anomalie du tube neural. Dans un contexte de dépistage, on accepte la présence d’un certain nombre de faux positifs qui se soumettront au risque de l’amniocentèse, il s’agit du prix à payer pour réduire au maximum le taux de faux négatifs. Ces programmes de dépistage ont été développés dans le but d’offrir aux femmes enceintes la possibilité d’interrompre la grossesse si le fœtus est atteint. Ceci est considéré acceptable par la population parce que la majorité considère qu’il s’agit de conditions assez sévères et assez fréquentes pour justifier un tel dépistage à l’échelle de la population. Si une femme considère qu’une interruption de grossesse serait inacceptable, elle peut refuser le test de dépistage.
Depuis l’avènement du séquençage du génome humain, l’avancée des connaissances en génétique nous mène à considérer le potentiel d’utiliser l’information génétique pour évaluer la susceptibilité individuelle aux maladies. Bien que ceci reste exceptionnel pour l’instant, certains exemples sont connus et soulèvent des questions quant à l’utilité clinique réelle de ce type d’information au niveau individuel.
L’hémochromatose héréditaire est une maladie récessive. Les individus atteints d’hémochromatose souffrent entre autres de cirrhose, de diabète et de cardiomyopathie. Les symptômes sont causés par un défaut du métabolisme du fer qui favorise son dépôt dans les organes internes. Le gène responsable a été identifié, de même que deux mutations, C282Y et H63D. La majorité des cas sont homozygotes pour la mutation C282Y. Des phlébotomies régulières diminuent l’accumulation de fer dans l’organisme et peuvent prévenir ou réduire les symptômes. Pour cette raison, l’hémochromatose est considérée une cible intéressante pour un dépistage à l’échelle de la population. L’utilisation d’un test génétique comme test de dépistage suppose que la pénétrance de la maladie est élevée, i.e. que la majorité des homozygotes C282Y développeront durant leur vie des symptômes d’hémochromatose et bénéficieraient donc d’un diagnostic précoce et d’un traitement préventif. Cependant, la pénétrance de ces mutations semble beaucoup plus faible que prévu: il semble que seulement une minorité d’homozygotes C282Y développent les symptômes de l’hémochromatose durant leur vie. La valeur d’un dépistage génétique à l’échelle de la population est donc remise en question. Il est actuellement recommandé d’utiliser le niveau de saturation de la transferrine comme test de dépistage de l’hémochromatose. Ceci identifie un signe biochimique de surcharge en fer et est donc plus près du phénotype de l’hémochromatose que le test génétique.
Le Facteur V de Leiden (FVL) est un variant du facteur V de coagulation. Ce variant est associé avec une augmentation du risque de thrombose. Bien que la présence du Facteur V Leiden chez un individu ayant une histoire de thrombose puisse aider à expliquer la cause de la thrombose, elle ne change pas le traitement immédiat ni la prophylaxie à long terme de cet individu, qui sera traité comme tout autre individu avec une histoire de thrombose. De plus, tous les individus porteurs de Facteur V Leiden ne développent pas de thrombose. Il est donc difficile de justifier le dépistage à large échelle du FVL et surtout de soumettre tous les porteurs à une anticoagulothérapie prophylactique qui comporte elle-même des risques significatifs d’hémorragie. Certains facteurs environnementaux influencent aussi la probabilité de développer une thrombose, comme la prise d’hormones exogènes ou le tabagisme, et contribuent à la difficulté de prédire le risque de thrombose.
Avec l’avancée des connaissances sur l’interaction entre les gènes et l’environnement, il sera peut-être possible d’utiliser des combinaisons de facteurs de risques génétiques et environnementaux pour mieux prédire le risque de développer une certaine condition. Pour l’instant, l’impact de la susceptibilité génétique reste difficile à évaluer, surtout à l’échelle individuelle.
La pharmacogénétique est une nouvelle branche de la génétique qui s’intéresse au rôle de la génétique dans la variabilité de réponse aux médicaments et de développement d’effets secondaires entre les individus. Si l’on peut prédire la réponse pharmacologique d’un individu grâce à la présence ou l’absence d’un certain polymorphisme dans un gène donné, on peut ajuster la posologie du médicament en conséquence. La plupart des gènes présentement étudiés en pharmacogénétique sont impliqués dans le métabolisme et l’élimination des médicaments. Le polymorphisme impliqué peut accélérer ou ralentir le métabolisme et/ou l’élimination du médicament.
L’écogénétique est une discipline semblable à la pharmacogénétique, mais qui s’intéresse plutôt au rôle de la variabilité génétique dans la variabilité de réponse aux facteurs présents dans l’environnement (agents cancérigènes, pesticides, aliments, polluants industriels, etc.). Une des applications possibles serait d’utiliser cette information en milieu de travail pour rechercher les individus les plus susceptibles de développer des complications suite à une exposition occupationnelle à un agent donné. Ceci pourrait cependant donner lieu à de la discrimination envers les gens susceptibles qui se verraient refuser un poste ou un emploi. D’un autre côté, les employés considérés moins susceptibles aux complications pourraient être exposés davantage et moins bien protégés, augmentant ainsi leur risque de développer des complications.
Certains espèrent qu’une meilleure compréhension de la variabilité génétique entre les individus permettra d’adapter le traitement en fonction des caractéristiques génétiques de l’individu et en fonction des risques et bénéfices de chaque option thérapeutique pour cet individu. Ceci dépend de la croissance de la pharmacogénétique et de l’écogénétique et de l’avancement des connaissances dans ces domaines. Dans certains cas, le traitement sera le même mais la dose, la durée et/ou la fréquence d’administration pourront varier selon le génotype de l’individu. Dans d’autres cas, le traitement lui-même pourra être adapté au génotype de l’individu, ciblant spécifiquement la source de la différence. De plus, une meilleure compréhension de la susceptibilité génétique permettra de cibler les soins préventifs vers les individus qui en bénéficieront vraiment.
L’impact de la génétique en santé publique est encore limité mais il est appelé à croître dans un avenir rapproché en raison de l’avancée rapide des connaissances dans le domaine de la génétique et des interactions gènes-environnement. Il existe cependant déjà des exemples du rôle de la santé publique dans le contrôle de maladies génétiques, qui peuvent servir de leçons pour l’avenir.
Anne-Marie Laberge
Atlas of Genetics and Cytogenetics in Oncology and Haematology 2022-05-26
Génétique et Santé Publique
Online version: http://atlasgeneticsoncology.org/teaching/209042/g-n-tique-et-sant-publique